Allize’Day : quand les industriels de la plasturgie
se penchent sur l’économie circulaire
Avant-propos :
Nous nous sommes lancées dans une aventure extraordinaire et chaque semaine nous amène de nouveaux rebondissements. Ne venant pas de ces secteurs d’activité (mode, plasturgie, etc.) nous arrivons avec un regard neutre et distancé. Notre curiosité, bien qu’alimentée par l’actualité, nous pousse à nous intéresser et à comprendre les différents points de vue, sans à priori. Nous constatons ainsi que, bien souvent, les clivages sont renforcés par le manque de compréhension de la culture de chacun.
Nous ne sommes pas pour le plastique à outrance et nous pensons qu’il est temps de changer nos habitudes de consommation : boycotter certaines entreprises, réduire nos déchets, consommer local et bio, etc. En quelques mots : consommer moins mais mieux et donc agir pour accompagner le changement profond que notre société doit opérer.
Néanmoins, nous pensons que chaque action ou collaboration ne se situe pas dans le noir ou dans le blanc, il s’agit de s’accorder dans le gris. Pour nous, l’ensemble des acteurs que nous rencontrons sont comme les fils d’une toile d’araignée : chaque connexion a un but précis et chacun des changements a une répercussion sur le reste. Nous percevons la délicatesse d’entretenir la synergie des différents acteurs un peu comme le travail habile d’araignées tissant la toile de leurs réseaux.
PRÉSENTATION DE LA JOURNÉE
Le 25 octobre 2018, a eu lieu, à Lyon, Allize’day. Cette journée, organisée par le syndicat de plasturgie du même nom, avait pour objectif de réunir plus de 500 professionnels et entreprises de la plasturgie autour d’une thématique centrale : l’économie circulaire. La matinée était consacrée à un aspect très technique et l’après-midi a eu lieu une plénière avec de nombreuses interventions sur l’avenir de la plasturgie « dans un contexte où la protection de l’environnement et l’impact environnemental de leurs activités sont au cœur de l’actualité ».
Grâce à un interlocuteur privilégié du syndicat, nous avons pu accéder à la journée. Nous le remercions pour l’intérêt accordé à notre projet même si nous ne faisons pas partie de l’industrie plastique. Nous étions au cœur des débats et des préoccupations de ces professionnels qui n’étaient pas à destination du grand public et donc pas orienté. Nous avons été agréablement surprises par la qualité de l’accueil, de l’animation et bien sûr des interventions.
Après l’ouverture du président d’Allizé Plasturgie, se sont succédées différentes interventions des représentants institutionnels: l’ADEME, la Commission Européenne, des organismes de représentations professionnelles, des entreprises déjà engagées dans l’économie circulaire, un centre technique industriel dédié à l’innovation plastique, une école de formation à la plasturgie formant notamment à l’éco-conception, etc.
Vous expliquez l’ensemble du contenu prendrait des heures, mais voici quelques propos que nous avons relevés et qui ont attiré notre attention. Nous tentons, ici, de vous donner la tonalité du positionnement des industriels français, en respectant leur parole :
– Notre modèle linéaire (produire, consommer, jeter) a des impacts environnementaux, de santé publique et atteint sa limite. En 2011 nous étions 7 milliards, nous serons 8 milliards en 2025 et 10 milliards en 2055. Nous utilisons aujourd’hui 70 milliards de tonnes de matière première et nous aurons besoin de 170 milliards de tonnes en 2050 si nous continuons sur cette voie. Mais même en optimisant le recyclage, nous ne résoudrons pas le problème. Il faut changer de modèle en adoptant celui de l’économie circulaire (produire, consommer, réutiliser, récupérer et régénérer). Nous devons aller dans une économie de la fonctionnalité en allongeant la durée de vie des produits. Intervention du responsable régional de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) Auvergne Rhône-Alpes
– En Europe le taux de recyclage de plastique est de 33% avec de grosses disparités. Pour exemple : en Suisse (hors EU), il atteint les 75%, alors qu’il est de 2% en Grèce et 22% en France. L’objectif de l’Europe est d’atteindre les 80% en 2020 et les 100% en 2030. La pression des citoyens a accéléré la décision mais le changement doit se faire tous ensemble. De nombreuses initiatives ont déjà vu le jour, toutefois la transition demande du temps. C’est tout le système qui doit changer. Intervention d’un chercheur à la Direction de la recherche de la Commission européenne
– La France a décidé de se positionner en « bon élève » et les objectifs sont ambitieux. C’est un grand changement qui renvoie les industriels de la plasturgie « face à leurs destins ». Ils doivent se mobiliser et renouer un pacte autour de leur utilité auprès des politiques et de la société civile. Ils doivent communiquer sur le fait qu’ils recyclent déjà (cet argument peut être tendancieux. En effet, ce n’est pas un argument commercial : utiliser les « poubelles » pour fabriquer de la matière, ne plaît pas à tous les clients). La fédération de la plasturgie pourra aider à cela. Intervention du vice-président environnement de la fédération de la plasturgie et des composites
– En France, 37,97% des personnes devraient changer leur manière de consommer à moyen terme. Il y a un manque de matières recyclées car en France on ne collecte pas assez, seulement un français sur deux trie systématiquement. Coca-Cola travaille pour doubler son taux de matières recyclées dans les bouteilles (de 27% à 54% en 2025). Une stratégie est envisagée pour relancer la fabrication de bouteilles en verres. Néanmoins, si l’on remplace la bouteille plastique en verre cela multiplierait par 4 la consommation de CO2. Il faudrait « débloquer la consigne ». Intervention du directeur associé de la Responsabilité Sociales des Entreprises de Coca cola
– Il existe d’autres solutions que le plastique petro-sourcé. Néanmoins, il faut faire attention aux matières bio-sourcées qui ne sont pas forcément biodégradable. Le marché du biodégradable est encore faible aujourd’hui même s’il va exploser. Les jeunes citoyens ont la volonté d’évoluer vers des solutions plus propres. Nous pouvons tout faire en emballage alimentaire avec ces matières-là mais pour des objets vraiment techniques, on ne peut pas se passer de la plasturgie. Intervention du directeur de Vegeplast
– Il faut travailler ensemble, sur toute la chaîne de valeur, du chimiste au consommateur. Il va falloir travailler sur une nouvelle génération de plastique. Aujourd’hui le point faible de celui-ci est sa durabilité et sa fin de vie (penser au démontage multi-matériels/multi-couches). Il faut trouver des solutions à court/moyen terme car l’industrie du plastique est en danger. La traçabilité du produit est importante pour les aspects sanitaires. Intervention du directeur régional de recherche de l’Innovation Plasturgie Composites.
– Présentation de Gerflor : une entreprise qui s’est lancée dans l’économie circulaire il y a plus de 30 ans. La matière principale est le PVC, qui est recyclable quasiment à l’infini (d’après le PDG de Gerflor). Ils ont travaillé sur l’écoconception du produit pour que celui-ci soit recyclable. Il intègre en moyenne 25% de matières recyclées. Leur process dépense un minimum d’énergies et produit peu de chutes. L’usage du produit demande aussi un minimum d’entretien. Le conseil du directeur de cette entreprise est de ne pas attendre que le marché « vienne les chercher » et « de ne pas voir le recyclage comme une contrainte ». Il faut néanmoins accélérer la collecte et les formations environnementales et de recyclages. Intervention du PDG de Gerflor
CONSLUSION
Le président d’Allizé plasturgie a conclu ainsi « Le paysage se transforme avec ou sans nous ». Il constate qu’il existe beaucoup de peurs, de remises en question mais aussi une capacité d’innover et de s’adapter. Les industriels de la plasturgie doivent être forces de proposition.
Et voici maintenant nos conclusions et nos réflexions:
– Tout d’abord, à tous les sceptiques, nous vous affirmons que nos petites actions, nos réflexions et nos prises de conscience ont un impact réel et majeur sur le monde de l’industrie (donc sur les lobbyings, sur les politiques). La société civile a un poids et est prise en compte… alors, oui, consommer c’est voter !
– Il y a une vraie prise de conscience et préoccupation du monde de la plasturgie française. Ils savent en effet que l’état de la planète et la pression de la société civile ne laissent plus le choix au changement et qu’il est nécessaire pour tout le monde. Ce changement amène des craintes. Lorsque l’on parle de recyclage des matières plastiques cela parait être une simple question de choix, cependant la réalité économique, sociale et technique est bien plus complexe.
QUELQUES PRÉCISIONS SUR LE RECYCLAGE DU PLASTIQUE :
- Tous les plastiques ne peuvent pas se recycler ensemble.
- Selon le type de plastique, il est plus ou moins facile de le réutiliser.
- Un plastique usagé perd de ses caractéristiques initiales et demande soit à être régénéré, soit mélangé à du plastique vierge si le client a besoin de contraintes mécaniques spécifiques dans son cahier des charges.
- Le plastique noir alimentaire n’est pas recyclable.
- L’utilisation du plastique recyclé dans l’agro alimentaire est rigoureusement contrôlé voir interdite pour un grand nombre.
- En France, les industriels travaillant avec du plastique recyclé manquent de matière. Une bouteille sur deux ne serait pas recyclée.
- Ceux qui travaillent sur ces matières recyclées parlent d’une matière différente car cela demande d’adapter les machines et le design.
- La matière recyclée coûte plus chère, pour une qualité moindre.
- Le marché doit être prêt à recevoir de la matière recyclée.
– Le tout plastique est une aberration et continuer dans ce système linéaire c’est aller droit dans le mur. Mais le changement doit se faire en bonne intelligence. Le plastique nous a permis des avancées incroyables (santé publique, communication, déplacement, innovations technologiques, etc.) et tout ne se remplace pas si facilement et si radicalement. On n’élimine pas simplement une matière du paysage de nos vies lorsqu’elle est indispensable : on la remplace par une autre matière et il est important d’en mesurer les conséquences écologiques. Encore une fois ne déplaçons pas un problème écologique : voir le dilemme soulevé par le remplacement de l’huile de palme (http://www.lefigaro.fr/sciences/2018/06/26/01008-20180626ARTFIG00182-l-huile-de-palme-est-une-catastrophe-ecologique-mais-l-interdire-serait-pire-encore.php ) ou encore par l’achat de produit en bambou (https://www.consoglobe.com/bambou-ecolo-jusqu-bout-4569-cg ) etc.
Petite anecdote au passage, cela fait quelques temps que l’on se demande comment les magasins de vrac reçoivent leurs produits et gèrent leurs déchets ?! …
Nous sommes donc passées devant un magasin de vrac le jour des poubelles de tri : oui, il y a des déchets, et oui le plastique en fait partie. Pour autant, nous restons convaincues que c’est beaucoup mieux que les nombreux emballages que l’on consomme dans les circuits standards. Mais ne passons pas d’un extrême à l’autre, nous avons besoin de chacun pour avancer vers une consommation raisonnée.
– C’est pour cela que nous rejoignons ce qui a été dit plusieurs fois lors de cette plénière : le changement doit avoir lieu grâce à une implication collective (société civile, industriels et politiques). Nous avons toutes et tous notre part de responsabilité.
– La transition vers des modes de consommation et de production responsable aura un impact économique pour les industriels. Les processus de fabrication respectueux de l’environnement et de l’humain sont bien évidemment plus coûteux. Notre pouvoir d’achat va être inévitablement impacté. Mais ce changement induit aussi la création de nouveaux emplois sur le territoire. C’est une aubaine pour relancer une nouvelle économie basée sur les principes de l’économie sociale et solidaire. Cette logique de pensée nous amène encore et toujours à dire qu’il est essentiel d’acheter moins et mieux et au « juste prix ».
Petite prévision par rapport au plastique recyclé : une des raisons pour laquelle le prix est supérieur est, d’une part, le coût lié au transport des déchets vers les centres de traitements et, d’autre part, le coût lié au traitement de celui-ci (collecte, envoi en centre de tri, envoi en centre de transformation). Il faudrait, par exemple, pouvoir équiper le local de plusieurs bacs où les personnes déposeraient directement les déchets par type de plastiques (1 ,2 ,3 ,4 ,5 ,6 ,7 ). Ainsi le tri serait simplifié et la transformation pourrait se faire en direct ce qui provoquerait baisse du coût de la matière.
– Il s’agit donc de mettre toutes nos compétences au service de la transformation de notre modèle économique et de production. Et nous pensons que les industriels de la plasturgie ont eux aussi une place à jouer dans la société de demain à condition qu’ils se saisissent de l’innovation, du recyclage, de l’écoconception, etc.
– Nous pensons donc qu’il nous faut réduire drastiquement la production de matière vierge et rentabiliser celle déjà transformée afin de préserver les autres matières premières. Pour cela la multiplication de projets comme le nôtre, l’investissement dans la recherche et le Développement, le soutien et l’implication des industriels, des partenaires financiers, des institutions et politiques et enfin de la société civile sont incontournables. Cela laissera ainsi le temps de trouver des alternatives pensées et réfléchies.